autour de "e"


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10 octobre 2012


Voici le lien sur le document de la première version de "e", que vous pouvez télécharger :



Remarques :

  • E est écrit en majuscule, il deviendra minuscule ensuite ("un "a" qui a basculé par dessus tête") dans la version définitive.
  • Nounourse est un véritable ours et non un enfant déguisé en ourson comme dans la pièce définitive.
  • Il est le fils adoptif de Foulou, le Noir, qui deviendra Blackburn dans la version définitive.
  • La période au centre de redressement avec les juvéniles est beaucoup plus violente : lors de la dernière «saucette» infligée à J’il par les juvéniles, J’il en tue trois avec le robinet du lavabo, en éventre un pour lui arracher le coeur percé. Il sort couvert du sang de ses meurtres. Dans la version définitive, c’est J’il qui tombe sur le lavabo et se blesse la tête. Il sort avec son propre sang sur la tête.
  • Jadis, et Demain, avant d’être ses deux garçons, sont deux êtres bleus apparus dans le ciel et qui se battent sans blessures pendant que J’il construit sa maison.
  • J’il a trois fils, alors sur dans la version définitive, les jumeaux sont fille et garçon, et la dernière est une fille, Soleil.
  • C’est Romane qui rêve d’un homme masqué, J’il, venant la secourir. Dans la version définitive, c’est J’il qui rêve de Romane.
  • A la fin de la pièce, J’il mange son enfant pour ne pas le laisser aux ennemis et pour fusionner le fils et le père (Dadagobert/J’il ; J’il/son fils)


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26 septembre 2012


LA TRILOGIE DES SOULIERS




Celle-là


(Exposé de Sarah L)

Celle-là, de Daniel Danis, est écrite en 1993. Cette pièce surprend le théâtre québécois par sa langue riche et innovante. Danis obtient le prix de la Critique de Montréal, le prix littéraire du Gouverneur général du Canada et le prix de la meilleure Création de langue française du Syndicat professionnel de la critique dramatique et musicale.

4e de couverture : «En vingt-quatre images, vingt-quatre instantanés incisifs, se déroule l’histoire rouge sang de trois êtres sculptés dans la tragédie : une femme qui avait soif, son fils qui aimait rire, un vieux qui les regardait sans pouvoir rien dire.» 

«CELLE-LA
ou
les Statuts de rien»

  • Idée de statues figées, la mère morte est étendue sur le sol, elle se décrit elle-même comme une "statue de rien". Pierre se souvient de sa mère comme d’une mère immobile, une "mère morte".
  • Idée de l’immobilité comme sur une photo, où chacun prend la parole à son tour. Les histoires racontées sont saisies sur le vif, dans l'instantanéité propre à la photo.

L’histoire est racontée par les trois protagonistes après la mort de la mère : il n’y a pas d’action ‘présente’ mais une histoire passée que les trois personnages se remémorent, contrairement à ‘e’ où les personnages sont mus par l’action.
Pour le Vieux, il s’agit de «revoir notre vie ensemble», certains moments et certains temps de leurs vies sont revécus : la découverte du corps de la mère, par elle-même, par le vieux puis par le fils.

L’histoire tourne autour de cette femme, puis mère, dont on ne connait pas le nom. Elle est traitée de sorcière par sa famille et envoyée au couvent pour avoir pêché avec des hommes. 
Mais cela n’empêche pas la femme d’être tenaillée par son désir de chair. Elle est ensuite logée chez le Vieux, avec qui elle assouvit son désir de chair qui se transforme en désir d’enfant : naît Pierre.
Mais la mère est malade, elle «fait le gâchis», frappe un jour son fils (elle explique que c’est son bras qui agissait indépendamment d’elle). Le fils est envoyé à l’hôpital puis dans une famille d’accueil, la mère retourne chez les soeurs. Ils n’auront plus le droit de se voir, même si chacun le veut, car la loi ne leur permet pas, explique le Vieux au Fils.


Thèmes principaux : 

  • L’Autre, l’Etranger : ici, la mère. Elle est différente de par sa maladie. Elle parle de ‘crise’, d’ ‘énervement’ (terme médical : épilepsie, hystérie)
L’Etranger est une attraction en même temps qu’une répulsion :
  • le Vieux, qui traite aussi la mère de ‘sorcière’, est fascinée par elle, il l’espionne avec ses ‘oeils-poissons’.
  • Dans e, Hèbelle dit ‘les métis sont tellement beaux’, alors qu’ils font peur aux autres.

  • Aspect religieux : la mère est rejetée par la société puritaine et traitée de sorcière. Elle recourt à la religion pour obtenir le pardon mais cela ne la sauve pas.
Mais son vrai mal ne se trouve-t-il pas dans son désir de liberté ?

  • L’archaïsme : dans les pulsions primitives enfouies, la soif de la mère, soif de liberté et de plaisirs sensuels qui peuvent CREER (pour elle, l’enfant, «la seule chose que j’ai créée») mais la violence des pulsions peut aussi DETRUIRE (ici le fils)
Dans e : les métis ont une vie primitive en accord avec la nature, ils produisent du miel, mais ce sont aussi des guerriers.

  • relation sexualité/nature primitives :
La mère mange des bleuets juste avant de perdre sa virginité.
Dans e, les graines de J’il plantées dans le jardin fécondent Romane.

  • défaillance des adultes :
Pierre est un fils illégitime, sa vie est brisée à cause de ses parents : séparé de sa mère à cause de la folie de celle-ci et de son père à cause de son illégitimité (le Vieux est marié).
Dans e, la relation entre Hèbelle et Dadagobert met J’il en prison. Cette relation mettra au monde Romane, fille illégitime.

La langue de Danis
Dans Celle-là, la langue surprend par sa structure grammaticale, mais Danis ne fait pas de néologismes comme dans e.


La Trilogie des Souliers, rapport au soulier :

  • Pierre joue avec les souliers de sa mère : désir de fusion et de rejet en même temps ?

  • Scène 14, le logis des pieds : «les gens quand ils vont dehors ils mettent aussi des souliers pour pas qu’ils s’envolent dans le ciel. Les souliers, ça fait rester sur la terre. Mes pieds qui habitent dans une petite maison pour voir le monde.»

  • Scène 21, l’ailleurs du Fils : il est envoyé travailler dans une usine de chaussures par la femme du frère du vieux, sa famille d’accueil, qui ne l’aime pas.

Il y a dans le soulier l’idée d’ancrage dans la terre, dans la réalité.


Autres thèmes en rapport avec e:
  • l’ourson en peluche :
Pierre est l’ourson de sa mère : «Moi, je ne voulais pas être un ourson de peluche, ça ne bouge pas, ça ne rit pas, ça reste dans un coin de la chambre sans rien dire».
Dans e, Nournourse, fils de Blachburn.
Enfant, objet des adultes ?

- le père alcoolique : le Vieux boit de la liqueur, Dadagobert est Roué de la bière.

  • l’esprit qui crée le monde, le rêve qui crée la réalité :
Scène 16, le Kodak déterré, le Fils : «Là, j’ai compris qu’à côté du Kodak, j’avais enterré un ruban de souvenirs collés dessus. Moi je n’avais rien vu, sûrement parce que ce n’était pas de mes souvenirs.» 

  • incompatibilité rêve/réalité :
Scène 19, plus de nom pour le cors, le Vieux : 
« La vie nous prend
On la pense d’une autre manière, la vie.
On la pense autrement, même en la vivant.
On n’est jamais là avec la vie.»

  • la paix : 
Même scène
«Je veux, je veux
une paix de soleil.
une paix de soleil.»




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Le Chant du Dire-Dire





( exposé de Camille)





La pièce a été créée le 28 avril 1998 à Montréal à l’espace Go dans une mise en scène de René-Richard Cyr et en France au Théâtre National de la Colline le 15 septembre 1999 par Alain Françon.


4e de couverture : 

« Tout jeune, aucun d’eux ne parlait. A peine. Parler pour le besoin, tout juste. Pas de nécessité à jaser. La mère, la leur, craignait ce silence.
Les délier, se disait-elle, et à son mari aussi. Les délier pour les entendre, les rendre audibles à ce monde.
La mère, toujours la leur, avait pensé-rêvé à un objet : un jeu. Le père, le leur, l’avait fabriqué, en cuivre.»


Fable : 

Quatre enfants, trois frères, une soeur, tous de parents différents élevés par les mêmes parents. Ces parents adoptifs, les leurs, qui leur ont inventé le jeu du Dire-Dire pour les souder, meurent lors d’un violent orage devant la maison. Les enfants veulent continuer à vivre dans leur maison et la famille Durant s’éloigne de plus en plus du monde social, jusqu’à le rejeter. La soeur Noéma quitte la maison pour aller chanter, elle voyage, les frères attendent son retour avec impatience. Une hiérarchie familiale s’installe entre les frères qui sera remise en question. Noéma revient dans un état catatonique, on ne sait pas qui l’a agressé, «l’Autre». Les trois frères décident de la guérir eux-mêmes par leur amour, «la société d’amour Durant» (parallèle avec «e» sur la paix), et rejettent les recommandations du maire, leur oncle, et du docteur. On apprend que Noéma a un caillot de sang dans le cerveau. William refuse que Noéma soit opérée, car il n’a pas confiance dans les docteurs. Noéma, qui a la peau qui s’illumine la nuit, devient une bête de Foire pour le village qui veut la voir, détruit le jardin en attendant de la voir s’illuminer : les villageois sont des intrus dans le monde de la société Durant. Les services sociaux veulent enlever Noéma car ils jugent la famille «insalubre». Ils fuient et meurent du tonnerre.


Thèmes :

La parole
Les trois frères, Rock, William et Fred-Gilles, sont dans la parole et l’action. Ils racontent leur histoire passée en même temps qu’ils vivent leur histoire présente. Ils sont liés par la parole, chaque chapitre commence par «LE DIRE :», la pièce se construirait donc sur le jeu du Dire-Dire, chacun commente et raconte son histoire. Les personnages semblent parfois être narrateurs extérieurs à leur propre histoire : chacun parle de lui la troisième personne lorsqu’il s’agit de raconter.

Noéma n’est pas là au début de la pièce, les frères ne font que parler d’elle, ils ont hâte qu’elle revienne. En attendant, ils parlent de leurs souvenirs et montrent leur haine de l’autorité, il rejette l’avis du Maire qui est pourtant leur oncle.
Noéma était chanteuse, quand elle revient, elle ne parle plus. «Et» est le seul mot qu’elle prononce dans la pièce. Elle est appelée «femme de la foudre», car elle s’illumine et William suppose qu’elle a pris la lumière de la foudre le soir de la mort de ses parents.

Le Dire-Dire est comme un jeu de société inventé par leur mère qui avait peur que les enfants ne parlent pas : chacun doit dire ce qu’il a à dire. Il y a une difficulté à aller vers la parole. Dans ‘e’, J’il, après s’être battu avec son père Dadagobert, dit que «la langue est remplie de sang mais pas de mots».


Héritage de la foudre et de la parole
  • Leurs parents inventent le Dire-Dire et meurent de la foudre : l’héritage laissé des parents a une part bénéfique et une part maléfique. 
  • La pièce alterne entre noir/lumière, comme la foudre encadrerait l’univers des personnages, comme si leur destin devait forcément être foudroyant : ils finissent foudroyés et la foudre contenue en Noéma n’aura apporté que malheur à la société d’amour Durant, toujours soudée grâce au Dire-Dire.

Difficulté des liens familiaux et sociaux
  • C’est la parole qui lie la famille et construit la société Durant.
  • Un ordre s’est établi dans la famille et Rock, l’aîné, a pris pour habitude de tout décider. En grandissant, William se révolte et agresse Rock pour obtenir son droit de parole et de décision dans cette mini-société, il remet alors les liens de sang en question pour appuyer l’illégitimité de Rock à tout commander.
  • Mais les liens familieux tissés autour du Dire-Dire sont les plus forts et la famille reste unie face à l’extérieur. La parole familiale prime sur le discours social. Lorsque le docteur propose de faire opérer Noéma, William rejette son discours et préfère convoquer le Dire-Dire.
  • l’inceste, présente dans ‘e’, est évoquée ici lorsque William fait la toilette de Noéma et dit à ces frères qu’elle pourrait être sa femme puisqu’ils n’ont pas le même sang. Il n’y aurait inceste que moralement.

L’Autre
  • Celui qu’on suppose avoir agressé Noéma, dont on ne connait pas l’identité
  • L’autre, qui n’est pas du même sang : remise en question des liens familiaux entre les frères qui ne viennent pas des mêmes parents mais ont été adoptés et élevés ensemble
  • L’autre, qui n’a pas la même opinion : rejet réciproque du village et de la maison Durant, qui ont deux idées différentes des soins à apporter à Noéma.

Brouillage adulte/enfant :
  • ici, les enfants sont jetés très vite dans le monde des adultes : ils décident tout d’abord de se prendre eux-mêmes en charge après la mort de leurs parents puis de s’occuper de Noéma lorsqu’elle est malade. Fred-Gilles, le plus jeune et le plus tendre des frères dit : « Je connais bien les âges de nous quatre, mais on dirait qu’on a des âges a deux temps : vieux comme le monde avec des yeux d’enfants». 
  • Dans ‘e’, J’il, lorsqu’il devient adulte, garde son regard d’enfant dans le personnage de J’il 12 qui  l’accompagne.

Thème du Soulier

On ne trouve pas ce mot dans la pièce. Cependant, si le soulier renvoie à la notion d’appartenance, peut-on le remplacer par le Dire-Dire ? Par la maison Durant qui, avec son propre langage, crée un lien d’appartenance entre les membres de la famille ?

Dans le Chant du Dire-Dire comme dans e, il y a «une grosse catastrophe qui vient de l’extérieur», il faut rester soudés pour résister au malheur. Le Dire-Dire parle de l’ancrage.


La langue de Daniel Danis

Danis s’éloigne du réalisme de la langue et commence à inventer son propre langage comme il le fait dans «e».




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Selon Marie-Aude Hemmerlé dans son étude Les figures du double dans 'e' de Daniel Danis :
- la figure du double est centrale dans toute la pièce
- la 'fresque' encadre la pièce
- 'Tableau M Diptyque' : le M a une forme symétrique/ un diptyque est un tableau divisé en deux
La scène se couperait donc en deux : la partie de J'il et celle de Romane
Selon elle, après cette scène, la pièce se féminiserait...
Il y aurait d'un côté la langue orale propre à J'il, de l'autre la langue écrite de Romane.
- Le thème du double peut se voir aussi dans l'égalité accordée entre la forme épique et la forme dramatique dans la pièce.




FIGURES DU DOUBLE DANS DE DANIEL DANIS
Marie-Aude Hemmerlé

L'Annuaire théâtral : revue québécoise d’études théâtrales, n° 45, 2009, p. 175-187.
Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante :


Avec e, le « roman-dit » de Daniel Danis, s’ouvre un objet théâtral entièrement traversé par le motif du double, dépassant la simple thématique pour devenir un mode générateur de la composition du drame.
Pour le dramaturge, le double semble être un médium qui lui permet d’interroger la théâtralité à l’oeuvre dans cette pièce. Non seulement cela questionne-t-il le personnage, le cadre spatio-temporel, mais surtout, le double apparaît comme la tentative de mettre en place un autre regard. Le double donne à voir les différentes strates du réel, du rêve, du fantasme, du présent, du passé, de l’avenir qui se superposeraient dans un effet de verticalité plutôt que d’horizontalité, pour reprendre le vocabulaire de l’auteur. Il ne s’agit pas de profondeur de champ, de développement chronologique, mais d’un empilement et d’une imbrication, strate par strate.
Afin de donner à voir, à notre tour, ce travail architectural, nous avons choisi de nous arrêter sur la structure,   question des genres et le personnage de J’il. Ces trois points apparaissent comme trois angles de vue, trois hypothèses de lecture qui, dans leurs compositions et l’entrelacs des références, participent au même titre que d’autres éléments à lire la pièce sous le sceau de ce motif.


La structure

La pièce de Danis se construit autour d’un cadre visuel avec des emprunts lexicaux et formels à l’art pictural. Elle fait se rencontrer le visuel et l’écrit. Dans l’étude préalable des formes picturales, on constate une dichotomie entre les scènes proposant un éclairage externe, c’est-à-dire avec un point de vue a priori extérieur, et les scènes proposant au contraire un engagement du regard ou de la parole, autrement dit un point de vue subjectif ou tout au moins interne. Afin de montrer le dialogue que génère cette séparation, l’analyse maintient ces entités distinctes. 
Les titres renvoyant à un éclairage externe sont : Fresque, Tableau, Miniature, Diptyque, Tableau noir de craie et Poudre de fusain et cire sur papier vélin. Quant aux titres figurant un éclairage interne, on relève : Bas-relief, Camera obscura et Diorama.
La fresque, tout d’abord, vaste peinture, présente à toutes les époques et partout dans le monde, possède une portée universelle et intemporelle. Il s’agit presque toujours de peintures traduisant une vision d’ensemble du monde, d’une religion, d’une histoire de l’humanité. Elle se caractérise donc par son étendue et sa dimension narrative.
Dans e, deux fresques encadrent le récit de Danis. La première apparaît comme une introduction de la pièce, elle évoque l’arrivée d’un peuple sur une terre nouvelle, chassé par la guerre, la mort, et contraint à l’exil. Scène de la naissance de J’il, héros de la pièce, elle pose les fondements de l’histoire, celle d’un homme et celle d’un peuple. Dès la première réplique, nous sommes confrontés à un récit des origines, plongeant au coeur d’une fable qui s’énonce comme création : « Dis ce que vois./ Voici que le monde surgit au moment où l’effroyable me provoque à le voir./ Essoufflé, un convoi d’humains lourdement chargés de bagages arrive sur le dessus d’une montagne. Une femme prête à accoucher, soutenue par deux hommes, s’arrête pour respirer » (e : 15). La parole est initiée, le décor est planté, l’histoire peut commencer.
La seconde fresque constitue l’avant-dernier tableau de la pièce, mais elle peut être considérée comme la fin de l’histoire, le tableau suivant étant une ouverture à un autre monde, à un autre temps. Fresque II répond à la fresque initiale. Elle retrace l’ultime duel de la guerre des pères et la mort du père de J’il, le lecteur/spectateur assiste à la fin d’un monde et à la naissance de Soleil, la didascalienne – narratrice et dépositaire de l’histoire –
par sa nomination. C’est aussi le moment de la transfiguration de J’il à travers le sacrifice de sa femme et de ses enfants, il se « déploie/ nouveau et ancien » (e : 116), il est en paix avec le « corps de [son] Mond » (e : 108). L’histoire se clôt, mettant fin à chaque élément, les uns après les autres. 
Par ailleurs, au milieu de la pièce, à sa césure, on remarque un diptyque désignant le Tableau M, lettre miroir, lettre qui se réfléchit. Le diptyque, comme son nom l’indique, désigne un tableau (ou une oeuvre littéraire) en deux parties qui présente soit une chronologie (avant/après), soit deux visions de la même scène (deux points de vue), ou deux histoires parallèles différentes mais liées par une causalité. Dans e, l’organisation de la scène relève bien d’une structure binaire. Elle se déroule en deux temps : l’enlèvement de Romane et la blessure de J’il soignée par Romane. Elle se concentre sur ces deux personnages. La scène correspond aussi au moment où la pièce se féminise, ce qui ne veut pas dire que les personnages féminins étaient absents ; la Dodue Doyenne présente dès la Fresque I, par exemple, s’apparente à une figure maternelle. En effet, parce que le diptyque annonce l’amour, l’union entre J’il et Romane, entre la langue et l’écrit, entre le roman et le dit, le sacré et le profane, on peut dire que le roman-dit se féminise. En d’autres termes, le personnage de Romane Languanière personnifie la naissance de la langue : remontant aux origines, elle incarne le passage du latin à la langue vulgaire, le français.
De plus, cette scène joue également un rôle pivot en faisant écho aux scènes Tableau noir de craie et Poudre de fusain et cire sur papier vélin. La libération de Romane, relatée dans la scène Poudre de fusain et cire sur papier vélin, évoque l’enfermement de J’il à la maison de redressement (Tableau noir de craie). Le diptyque nous introduit dans le monde « rêvique» de J’il : celui d’une jeune femme enfermée dans une tour, ce « e » en surimpression sur le visage, ce « e » qu’il a appris à lire et à écrire, ce « e » frappé sur sa chaussure gauche volée par les juvéniles. 
Le Tableau noir de craie est la séquence dans laquelle J’il, emprisonné dans « la blanche prison » (e : 37), subit l’humiliation des viols répétés et apprend à écrire. Point de pathos, juste l’indication de ce noir et de ce blanc venant rythmer la scène et qui sont plus évocateurs que tout autre descriptif. Le temps passé à la cadence des sordides rendez-vous avec les juvéniles se découpe en « Et se passe : Blanc», à l’image de flashs qui accéléreraient le temps, dans un effet de montage, à mesure de la maturation de J’il, une maturation qui se fait à son insu, puisqu’il apprend à écrire malgré lui. Héros et victime, acquisition et perte, voilà ce que le noir et le blanc pourraient induire dans leur dualité. L’outrage apparaît telle une décoloration de l’être, le blanc soulignant la sélection qu’opère la mémoire, ainsi que la noirceur des événements. Dans une perspective plus ludique, cette coloration rappelle aussi le tableau d’apprentissage.
Dans Poudre de fusain et cire sur papier vélin, Romane retrouve le « e » perdu, il devient le premier mot de cette femme encore inconnue, comme un cri de douleur. Dans cette scène, annonciatrice de la rencontre du diptyque, J’il sauve Romane des flammes. Il est important de noter que le fusain est une forme de charbon, que la cire est soit le produit des abeilles – rappel de la fabrique du miel par les Azzédiens –, soit un résidu fondu. Il est donc question de feu, de carbonisation dans le fond comme dans la forme. Le tout se produit sur du vélin, papier rare et cher, fragile et délicat. Il souligne la délicatesse et le caractère éphémère de la rencontre en renvoyant au mythe du chevalier sauvant la princesse, thème récurrent de la littérature chevaleresque au Moyen-Âge. Toutefois, Danis opère une transposition de la thématique en procédant par anachronisme : le chevalier devient pompier avec un costume ultra-sophistiqué, son sauvetage relève des films d’action les plus modernes, le lecteur/spectateur est plongé dans un univers d’héroïc-fantasy, de super-héros. Enfin, il y a toujours la fragilité du papier, puisque la rencontre n’a pas lieu, elle est avortée, le vélin désignant également les peaux des animaux mort-nés. Danis, avec ce titre, nomme le support pictural et donne à voir littéralement la lecture de la scène : de la poudre de fusain et cire sur papier vélin. En effet, la rencontre a lieu dans un moment de vulnérabilité réciproque et amorce la relation qui fera jour dans le diptyque, entre attirance et répulsion, opposition et complémentarité. Elle conjugue dans un même mouvement le principe du double et sa face inverse, l’altérité.

Le motif du double se retrouve également dans les scènes avec un éclairage interne, comme les deux Camera obscura. La camera obscura, ancêtre de la chambre noire, devient une autre façon, pour Danis, de remonter aux origines, de mettre en avant deux regards portés sur eux-mêmes, qui ne sont pas ceux de J’il et qui, pourtant, sont empreints de sa présence tel un écho de sa trajectoire.
La Camera obscura I retrace comment le personnage de Gros-Bec, ami de J’il, est devenu boucher. À travers son expérience, Gros-Bec évoque un monde d’illusions qui finit par s’effriter et même exploser. Ce monde intérieur s’apparente à celui de l’enfance qui se trouve confronté au monde extérieur. La scène traduit une perception du monde confrontée à la réalité, en particulier à la mort, comme s’il s’agissait d’une initiation pour acquérir la vision humaine. On ne peut s’empêcher d’y voir un écho, en mode mineur, de la scène de la maison de redressement où J’il apprend à écrire – scène de la fin de l’innocence liée à l’acquisition d’un savoir.
Dans la Camera obscura II, nous assistons au monologue d’un soldat de la Terre d’À Côté, capturé par l’équipe de J’il. Il raconte la perte de ses hommes et la souffrance qu’il porte à présent en lui – souffrance de la perte et de la confrontation avec les familles. La noirceur de l’âme, l’impossibilité de vivre avec ce mal-être résonne en contrepoint avec le monde de J’il et avec sa volonté de vivre dans un monde de paix. Ces deux scènes fonctionnent donc sur un principe commun de résonance de l’altérité. En faisant entendre une autre voix que celle de J’il, elles permettent paradoxalement de mieux appréhender ce dernier, comme le négatif d’une photographie.
Les différentes formes picturales observées s’opposent, se rejoignent mais toujours se complètent, proposant une structure originale. Les titres des scènes participent ainsi de cet éclairage qui fonctionne soit de manière externe, soit de manière interne. Ils sont toujours des indices de lecture orientant le lecteur dans la fable. L’aspect visuel permet au dramaturge de travailler l’écrit comme un espace qu’il s’approprie par les stratégies narratives mises en place.


La question des genres

La dualité, présente depuis Celle-là (Danis, 2003), première pièce de l’auteur, entre l’épique, le dramatique et le lyrisme, n’a cessé d’évoluer au fil de ses pièces. Petit à petit, Danis est passé d’une parole monologuale à un dialogue plus effectif, tout en maintenant la prégnance de l’épique au sein même de l’échange entre les personnages. e ne fait pas exception et annonce dès le titre que le lecteur/spectateur sera confronté à un « roman-dit » et non à une pièce de théâtre. 
Ici, l’épique ne se rapporte plus seulement à la dimension narrative, au caractère exemplaire, ni même à sa forme brechtienne, mais se réfère à l’épopée, forme orale dont Hegel définit les grandes règles dans son Esthétique. La lecture de cet essai permet de mieux saisir certains enjeux de la pièce et donne matière à réflexion sur le métissage des genres tel que Danis le pratique dans son théâtre.
Hegel explique que l’épopée « a pour sujet une action passée, un évènement qui, dans la vaste étendue des circonstances et la richesse des rapports, embrasse tout le monde, la vie d’une nation et l’histoire d’une époque tout entière» (1997 : 502). En restituant la fable de e, nous pouvons nous rendre compte des accointances de la pièce avec les propos du philosophe. 
Comme très souvent chez Danis, le drame présenté est révolu ; la fable retrace l’histoire d’un peuple devenu nation entre deux exils. Par conséquent, l’action nous renvoie à une époque déterminée, nous permettant d’assister à la naissance d’une nation. Cependant, l’antériorité du drame ne se dévoile véritablement qu’à la dernière scène, le Tableau Z, sorte d’épilogue. 
Parce qu’il est ouverture sur un autre monde, un autre temps, celui de Soleil la Didascalienne, celui de la représentation théâtrale, le Tableau Z oriente la lecture ou la vision du drame dans un mouvement rétroactif. Provoqué par la réplique finale, il confirme la contamination des genres et nous place dans une temporalité où histoire et mythe se reflètent : « Ainsi, moi, Soleil, ai la tâche d’écrire qu’avec ces mots s’achève le roman-dit de J’il » (e : 118). Le rapport entre réel et fiction se brouille complètement avec l’entrelacement générique, roman et drame bousculent toutes considérations chronologiques et font entrer la pièce dans un rapport diachronique, bien que l’appréhension de la fable se fasse dans la continuité. Pour reprendre une expression deleuzienne, nous assistons à un jaillissement du temps comme dédoublement7
Le personnage de Soleil permet de décaler le point de vue en étant narratrice de ce qui se joue ou initiatrice de la parole, comme si le lecteur/spectateur pouvait atteindre une vision légèrement surplombante grâce à elle. Ce phénomène s’intensifie à la fin de la pièce lorsque le lecteur ou le spectateur comprend que Soleil est la fille de J’il, et qu’elle se situe dans un temps d’après l’histoire. En perpétuant l’histoire et en la racontant, elle se place en quelque sorte dans un temps mythique. D’ailleurs, peu avant, dans la Fresque II, Ladite Anne invective J’il : « Si tu retrouves ta bâtarde, j’espère qu’elle te rappellera nos souffrances à venir » (e : 112). Avec cette malédiction, Ladite Anne met en valeur la roue du temps par une projection du passé dans le futur, caractérisant la place particulière de Soleil.
A travers la vie de J’il, de sa naissance à sa mort, nous embrassons la vie d’un peuple dans sa totalité. Au fur et à mesure des événements construisant le parcours du personnage, le dramaturge évoque plusieurs éléments qui se rattachent à une conscience religieuse, à l’organisation politique, sociale et intime d’une communauté. Le caractère a priori anecdotique de certaines scènes permet justement à l’auteur de faire entrevoir au lecteur/spectateur la totalité de ce monde, à l’instar de la Miniature II.
Dans cette scène, Soleil prête sa voix à une sapine pour raconter la construction de la maison de J’il. Il s’agit du point de vue d’un arbre sur ce qui l’entoure, la parole relève de la notation sensible : J’il bâtit sa maison, près de la fontaine, puis vient Noël, la neige, la maison bleue, le tapis blanc… Cette référence à une forme d’animisme traduit, entre autres, le rapport au monde et à la nature qu’entretient le peuple des Azzédiens. Et si l’on se concentre sur le personnage de J’il, cette scène, en tant qu’enluminure (comme son titre l’indique), sacralise la scène du bâti ; cette nouvelle demeure ouvre une ère nouvelle après la maison de redressement. On reconnaît ici un motif récurrent de l’écriture de Danis, celui de la construction comme double métaphorique et tangible d’une nouvelle vie. Dans Cendres de cailloux, Clermont, en rénovant la grange des Fiset, se construisait déjà une nouvelle peau, « une deuxième peau » (Danis, 2000 : 18).

Si l’épique imprègne le dramatique, l’inverse se vérifie également. Alain Françon8, qui a créé e, a immédiatement mis en relation la pièce de Danis avec la chanson de geste médiévale. Les textes de cette période ne relèvent pas à proprement parler de l’écrit, dans la mesure où la plupart sont destinés à faire l’objet d’une performance orale. Variante médiévale de l’épopée latine, la chanson de geste transpose aussi dans le monde guerrier des récits hagiographiques des siècles précédents. Par ce mouvement de transposition, il est possible d’envisager sans peine les liens avec e, en particulier avec le personnage de J’il considéré, par sa communauté, à la fois comme un sauveur et comme le responsable de leurs malheurs
L’étymologie de cette forme ancienne renvoie au latin gesta signifiant actions, et par extension hauts faitsexploits. Elle souligne le caractère exemplaire des faits rapportés. Quant au terme de chanson, il met en évidence la dimension orale et musicale du texte. Par conséquent, au regard de la chanson de geste, on constate que le caractère épique de la pièce de Danis est empreint d’une oralité constitutive du drame. La topographie de révèle une interaction du « roman-dit » et s’ancre dans le présent de la représentation par l’énonciation du passé au présent et par le court-circuitage mutuel du récit et d’une parole adressée, échangée, dialoguée :
J’il : Go ! Je viens rendre visite à ma compagne de chambre des grands brûlés. Nous avons passé plusieurs jours ensemble à souffrir, à pleurer ; j’aimerais bien la revoir et prendre de ses nouvelles.
 Rien à faire, la tactique du verbe échoue. Je dois encore forcer le passage.
Laissez-moi la voir, c’est devenu presque ma soeur et je ne peux l’imager maintenant en robe blanche et folle. 
Il me faut la sauver des eaux troubles de cet arraisonnement d’enfermeurs (: 68).
En l’espace d’une réplique, nous passons d’une interjection réflexive à une adresse directe aux gardiens de l’asile (lieu de l’action), puis nous avons une parole de l’ordre du commentaire dont l’adresse reste floue. Est-ce une parole intérieure ? Est-elle adressée au spectateur ? Rien ne permet clairement de prendre position. Ensuite, il y a retour au dialogue avec la demande amorcée une phrase en amont et, enfin, le discours rebascule sur le récit, l’adresse redevient aléatoire. À travers ces quelques mots, l’écriture traduit comment Danis se joue des genres et n’hésite pas à passer de l’un à l’autre. Dans sa dramaturgie, l’épique et le dramatique se transforment en des matières ductiles et semblent alors constitués d’une nature réversible. Il devient difficile de les dissocier tant les deux genres s’imbriquent pour former un matériau commun. L’auteur joue du matériau théâtral, de la dualité du théâtre écrit pour être dit. L’enjeu ne se situe pas dans la distinction des genres mais dans l’activation de leur réciprocité.


Le personnage de J’il

Par l’intermédiaire du personnage central, J’il, la problématique de la lettre et de la voix  se cristallise autour du double en tant que dédoublement, démultiplication. Toute la pièce se bâtit en miroir, et l’axe de réflexion se trouve au centre même du personnage de J’il. Le drame se construit à travers cette figure qui incarne, tout au long de la pièce, le double dans sa dualité et son altérité. Le personnage se retrouve ainsi porteur de la fable.
Par ailleurs, à cette ambivalence archétypale du héros moderne s’ajoutent les résonances de mondes plus anciens, empreints d’animisme et de mythologie grecque. D’une part, il est décrit comme un ours aux lèvres de fille. Selon les croyances, l’ours, représentant de la caste guerrière, est parfois figuré sous un aspect féminin. Symbole d’équivoque, cet animal est aussi considéré comme l’ancêtre de l’espèce humaine. Les Algonquins, par exemple, appellent l’ours Grand-Père. De cette dernière croyance provient vraisemblablement le mythe, très répandu, des femmes enlevées par des ours et vivant maritalement avec leur ravisseur. Dans e, l’enlèvement de Romane et son union avec J’il peuvent se lire comme une variante mythologique. En Europe, on associe davantage l’ours à la caverne. Il exprime alors l’obscurité, les ténèbres, ce qui en alchimie correspond à la noirceur du premier état de la matière. L’obscurité, l’invisible étant liés à l’interdit, cela renforce la fonction d’initiateur attribuée à l’ours. À travers son animalité, la dualité du personnage de J’il ressort ici une nouvelle fois.
D’autre part, J’il peut être perçu comme le prolongement des héros tragiques grecs victimes de leur hybris. J’il rappelle ainsi OEdipe, l’incestueux, celui au pied enflé puisque Romane, celle qui soigne sa blessure (Tableau M-Diptyque), se révèle être sa demi-soeur. Elle seule peut déceler cette dualité qui l’habite : « Parmi tes différents esprits, J’il, dans lequel te trouves-tu si mal ? Est-ce dans ton esprit d’orgueil lié à ton rôle de sauveur ou dans celui de chef de guerre ? » (: 96) Les autres personnages ne font que la deviner. Ils ne la comprennent pas et c’est sans doute pourquoi elle les effraye tant : « J’il le parfait guerrier criminel sous un masque de paisible gentillesse avenante. L’infigurable, c’était lui, l’infigurable J, apostrophe, i, l » (: 64). 

Cette contradiction inhérente au personnage traduit le doute, l’incertitude qui se déploie dans de multiples variations, dont un questionnement existentiel sur l’autre en soi-même. L’interrogation de l’altérité prend une forme concrète dans la pièce avec la démultiplication du personnage de J’il. Non seulement nous le suivons à divers moments de sa vie, mais surtout une fois adulte et lors du passage par la maison de redressement, le personnage se dédouble, et le lecteur/spectateur fait face à J’il et J’il 12. Au cours de cet épisode de la maison de redressement, les violences subies et répétées semblent initier le dédoublement de J’il et fonder sa volonté de ne pas répondre à la violence par la violence.
Cela provoque le changement du personnage, son passage de l’enfance à l’âge adulte : « J’il 12. Quand je me parle dans ma tête, je dis je, et toi, J’il ? / J’il. Je me dis tu. / Coupons tes tresses avec ce rasoir jetable avant que les détenus ne te scalpent, mon J’il, je, mon moi d’enfance » (e : 39). L’éclatement du sujet participe de la problématique de l’hétérogène, qui rejoint en ce point la question de l’hybridation générique. 
Loin d’être un affaiblissement, la division instaure un rapport actif au monde, la condition dialectique de la créature. En d’autres termes, elle interroge l’homme déchiré et les conditions de sa liberté. Un dialogue s’instaure entre la figure de J’il qui une fois adulte est presque toujours accompagné de J’il 12, donnant accès au monde intérieur du personnage, à sa parole la plus intime. A priori, les autres protagonistes ne peuvent entendre ces échanges, seul le lecteur/spectateur y a accès. Nous oscillons constamment entre la parole des autres sur J’il et la sienne, qui ne passe pas par un épanchement solitaire mais par un dialogue des consciences, caractéristique du théâtre de Danis.
En outre, si nous empruntons l’étymologie du mot double au terme consacré par le mouvement romantique, nous constatons qu’il signifie littéralement « celui qui marche à côté, le compagnon de route » (Fernandez-Bravo, 1988 : 492). J’il 12 figure cet ange gardien suggérant la dialectique du sujet, capable de se voir lui-même dans son altérité. De fait, J’il peut aussi se démultiplier dans le temps, une capacité d’ubiquité reflétant les divers points de vue de J’il sur lui-même. Ainsi, dans le Tableau Y, le personnage se divise en quatre, quatre regards sur le monde, quatre regards intérieurs, faisant imploser l’enveloppe corporelles quand celle-ci n’est plus supportable : « Je ne suis plus capable de vivre dans ce corps-ça. Je veux en sortir » (e : 103). 
Reprenant le paradigme oedipien développé par Jean- Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet à savoir que, dans sa pièce, Sophocle pose la question de savoir dans quelle mesure l’homme dont la condition est d’être ici (aspect humain) et d’ailleurs (aspect surhumain) est entièrement à la source de ses actions, le personnage apparaît dans son altérité radicale. Il ne cesse de questionner ses actions et leur aboutissement, sachant que ce dernier diffère souvent de l’objectif de départ. Ici la dualité rejaillit sur le sens global de l’oeuvre.
Enfin, le principe actif du dédoublement se loge au coeur de son nom : J’il – J, apostrophe, i, l. « Je » et « il » fusionnant dans un même prénom. L’altérité est au centre et pose la question de l’identité en venant perturber la distance entre un personnage et son auteur. Si J’il est aussi J’il 12 et ses avatars, J’il peut également être perçu comme la présence de l’auteur au sein même de sa pièce. Dans ce J’il, il y aurait la présence imperceptible de Danis, du sujet écrivant qui aurait perdu son « je » pour aller vers l’autre, « il ». Les effets de cette collusion sont sans conteste multiples, mais il en est un qui prend un autre relief au regard de cette problématique, celui de l’adresse. Bien que nous soyons dans une antériorité du drame, nous serions paradoxalement non pas dans un temps passé mais au contraire ancré dans le présent de la représentation : l’auteur venant s’adresser à nous, nous interpeller à travers le personnage de J’il. Danis rejoue une fois de plus les modes de l’adresse théâtrale, non pas en s’appuyant sur le trouble d’un personnage actant et narrateur mais sur l’ambivalence d’un personnage actant et auteur de son drame. Par ce biais, Danis altère son personnage, sans connotation négative, en provoquant une altération sans dégradation, modifiant, transformant notre perception.la fiction littéraire.


Bibliographie

CHÉNETIER, Marion (2003). « Les voix-pas-là de Daniel Danis », Le nouveau recueil, n66 (mars mai), p. 100-105.
DAVID, Gilbert (2002). « Comment se joue la résistance à la représentation ? L’exemple du théâtre de Daniel Danis », Études théâtrales, nos 24-25, p. 205-214.
DAVID, Gilbert (2007). « Le langue-à-langue de Daniel Danis : une parole au corps à corps », Études françaises, vol. 43, n1, p. 63-81.
DESROCHERS, Nadine (1999). « Le récit dans le théâtre de Daniel Danis », L’Annuaire théâtral, n26 (automne), p. 119-132.
HEMMERLÉ, Marie-Aude (2006). « Le récit comme avatar du dialogue dans le théâtre de Daniel Danis », Loxias, n13, [En ligne], [http://revel.unice.fr/loxias/document.html?id=1113] (26 novembre 2009).
LESAGE, Marie-Christine (1996). « Archipels de mémoire, l’oeuvre de Daniel Danis », Cahiers de théâtre Jeu, n78 (mars), p. 79-89.


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NOTES DE JOËLLE CHAMBON PENDANT LA RENCONTRE AVEC Daniel Danis (8 février 2012)



Expériences fondatrices 
La découverte de la couleur, ou comment on peut disparaître dans les choses qu’on fait (peinture, jardinage).
L’apprentissage religieux, pris au pied de la lettre.
La violence familiale.
Le rapport entre le ciel (Dieu) et le sous-sol (il habitait une ville minière).
L’expérience à Haïti (racontée par Djoukie dans Le Langue-à-langue des chiens de roche) et la découverte de la misère réelle (les chiens de Port-au-Prince, qui hurlaient comme des humains pourraient hurler, avalés par le négatif du pays) rupture avec les amis et la religion, et découverte du TH, via Grotowski et Artaud. Il vit à ce moment-là à Chicoutimi. 
Explore à la fois le corps et le sacré. Très intéressé par l’anthropologie (Mircéa Eliade, etc). Il quitte finalement la formation THale, par manque de conformité aux standards du comédien, et cherche son chemin de TH en travaillant avec des enfants, des jeunes, etc.


Rêve et réalité :
Depuis l’enfance, ne fait pas de différence entre le rêve et la réalité ; le rêve était une voie possible pour digérer la réalité, ou la réinventer. Dans le rêve, la conscience est partout, et l’espace aussi. L’imaginaire est une couche intermédiaire entre le rêve et la réalité, qui permet de jouer entre les deux. Tous les objets de nos rêves sont nous-mêmes. Je suis l’agisseur de mon rêve. Découverte de la phase paradoxale du rêve par Jouvet : on n’est jamais plus intelligent qu’à ce moment-là, parce que toutes les mémoires sont ouvertes, tout est ouvert et les connexions sont vertigineuses = on se narre. Neurones-miroir : notre je n’existe pas ; on est traversé par les images du monde, qui sont un bien commun. 

Les neurones miroirs désignent une catégorie de neurones du cerveau qui présentent une activité aussi bien lorsqu'un individu (humain ou animal) exécute une action que lorsqu'il observe un autre individu (en particulier de son espace) exécuter la même action, ou même lorsqu'il imagine une telle action, d'où le terme miroir. En neurosciences cognitives, les neurones miroirs joueraient un rôle dans la cognition sociale, notamment dans l'apprentissage par imitation, mais aussi dans les processus affectifs, tels que l'empathie.



Texte et image :
Etant dyslexique, DD lit très peu (3 romans en tout), mais butine beaucoup ; savoir flou. A lu quand même : Thomas Bernhard, Koltès, Duras, les Dadaïstes. Comment écrire, vu qu’il ne sait ni lire ni écrire ? Parce qu’il « marche dans les images » ; il ne fait que traduire les images. Quand il entend ses textes, il les perçoit de façon spatialisée, comme une tapisserie où les mots sont des touches de couleur qui se répondent ou pas, et composent ensemble un motif. Les mots sont comme des atomes interreliés, et il faut qu’ils « consonnent ». Les différentes vitesses des phrases doivent aussi se tresser ensemble. Il a appris la langue par l’oreille, et les mots le traversent comme des images. La maturation d’un texte est longue, mais les textes eux-mêmes s’écrivent assez vite, et quand un mot arrive, même inventé, on le garde (le territoire donne la langue).
Partir en vrille : la phrase part du bout du pied et monte jusqu’à la tête.



Théâtre - Sur la genèse et le sens de quelques pièces:

Corporaliser l’acteur/rendre poreux le verbe. 
Le TH = lieu du réel qui s’expérimente en commun.
Le drame a déjà eu lieu (Cendres de cailloux), et pour mieux le digérer, on le passe par la moulinette du verbe. D’où l’adresse : l’acteur est au-dessus du personnage, il s’est élevé, dans sa transe verbale, au dessus, pour s’adresser au public. « Tout le paysage est dans sa bouche ». On avale le monde et on le refaçonne en le recrachant.

Cendres de cailloux = structure de l’initiation : Pascale-la lumière, Shirley-la nature-l’animisme-la nature comme sexualité, Clermont-le minéral, Coco-le Christ inversé-la mort. Ce sont des énergies qui parlent par la bouche d’une histoire. L’histoire, c’est horizontal, après, il faut ajouter de la verticalité, faire aller les énergies du sous-sol jusqu’au ciel et retour.

Le Langue-à-langue des chiens de roche : issu d’un rêve sur un couple, où il est à la fois l’homme, la femme, et le voyeur série de personnages qui vont se mettre en couple, et constituer un totem. Pourquoi les scènes = des vagues ? c’est lié à la montée verticale des chakras (!!! voir plus loin) 
Le modèle de Joëlle est un homme ; celui de Simon une femme ; Déesse et Coyote sont mythologisés et vivent dans le sous-sol ; les couples « s’empilent les uns sur les autres » jusqu’à fabriquer un totem.



Chakra
Emplacement
Divinité associée
Qualité
Couleur traditionnelle
सहस्रार

Conscience
couleur flamboyante
आज्ञा

Pardon
blanc brillant
विशुद्ध

Communication

अनाहत

Courage, Sécurité

मणिपूर

Satisfaction, Paix

स्वाधिष्ठान

Connaissance et créativité

मूलाधार

Innocence et sagesse




Le totem (mot des natifs Objiwé de l'Amérique du Nord) est un être mythique (généralement d'espèce animale, parfois végétale) considéré dans les sociétés traditionnelles ou dites primitives comme l'ancêtre éponyme d'un clan, selon un système appelé totémisme ;
Le nom Totem désigne aussi la représentation de cet animal choisi pour totem, parfois sous forme de sculpture verticale.
Dans le scoutisme, un totem est un nom d'animal qu'un scout reçoit parfois en signe d'initiation et de cooptation par d'autres scouts totémisés.

Totémisme : la conception traditionnelle du totémisme par les anthropologues associe plusieurs éléments : Ancêtre : le totem est une espèce naturelle (un animal ou un végétal, parfois un phénomène naturel), présenté comme un ancêtre mythique ou un parent lointain de son groupe social (en général le clan, parfois la fratrie, la classe d'âge) ; cette espèce symbolique peut être représentée par un "totem", au sens d'objet rituel sculpté, peint, façonné. Éponyme : souvent cet "ancêtre" donne son nom au clan. Les cinq principaux totems des Objiwés étaient la grue cendrée, le Poisson-chat, le huard, l'ours et la martre. Homologie ou classification : le totem est une façon d'établir des corrélations entre, d'un côté, les végétaux ou les animaux, et, de l'autre, les groupes humains sociaux. Le terme "totem" sert parfois, chez les Objiwés, à énoncer son appartenance clanique : makwa nindotem, "l'ours est mon clan" ; il s'agit en fait d'une formule abréviative qui recouvre la signification suivante : "Je suis apparenté avec celui qui appartient au clan dont l'éponyme est l'ours, donc j'appartiens à ce clan"2. Religion : le totem est sacré, on ne le consomme pas, on le respecte, on le craint, le totem est présenté comme le fondement des institutions, un modèle de comportement, une exigence d'organisation. Parenté, exogamie : le totem organise les alliances et les systèmes de parenté, la plupart du temps, obligation est faite de choisir son conjoint en dehors du clan qui a le même totem ; l'exogamie totémique exige que les épouses soient d’un clan (par ex. l'Ours) et les époux forcément d’un autre (par ex. la Martre).

Totem et tabou : Freud, s'inspirant d'une conviction de Darwin, suppose à l'origine de l'humanité une horde primitive, groupement humain sous l'autorité d'un père tout-puissant qui possède seul l'accès aux femmes. Il présuppose alors que les fils du père, jaloux de ne pouvoir posséder les femmes, se rebellèrent un jour et le tuèrent, pour le manger en un repas totémique.
Une fois le festin consommé, le remords se serait emparé des fils rebelles, qui érigèrent en l'honneur du père, et par peur de ses représailles, un totem à son image.
Afin que la situation ne se reproduise pas, et pour ne pas risquer le courroux du père incorporé, les fils établirent des règles, correspondant aux deux tabous principaux : la proscription frappant les femmes appartenant au même totem (inceste) et l'interdiction de tuer le totem (meurtre et parricide).

Le pont de pierre et la peau d’image : texte issu des lectures de Dolto, et du rapport au TH de ses propres enfants (qui s’y ennuyaient). Impros avec des élèves à partir de mots : lieux, personnages, verbes. Les 7-8 ans parlaient de la mort ; les 11-12 ans parlaient de l’anthropophagie. En refaisant le même chemin que les enfants ( ?), a écrit le PPPI. L’enfant arrive dans le monde avec dans son corps un savoir plus ancien.

Le Chant du Dire-Dire : il disait aux comédiens de penser que ça se passait en Inde ( ???).

Mille anonymes : chaque texte est une expérience en soi. Menant parfois à la liquéfaction, ou à la pétrification. 10 ans d’enfermement dans l’écriture, dont il sort avec Mille anonymes, et la contrainte d’écrire une scène par page, et avec des mots qui manquent.

Il sort donc à 40 ans de la « chambre d’écriture », et rencontre enfin les comédiens et la scène. Difficulté d’avoir une langue commune avec les acteurs : la scène, la coulisse, « qu’est-ce que je joue ? » — Tout ça, il n’y comprend rien.



L’expérience du Temps :
Les Algonquins parlent une langue où les verbes sont comme à l’infinitif, sans marques temporelles.
A la fin du Palais de cristal, Sloterdijk parle de l’incompressible expérience du temps. Le temps a été comprimé pour beaucoup de choses, sauf pour certaines expériences fondamentales comme manger (faire l’amour ou naître, lire ?).

Le palais de cristal, de Sloterdijk :
Quand on desserre l’entrelacs entre les lieux et les formes du soi, on aboutit selon Sloterdijk à deux positions extrêmes, celle d’un soi sans lieu et celle d’un lieu sans soi. Toutes les sociétés ont cherché dans le cours de leur histoire à réaliser des compromis entre ces deux pôles extrêmes, et dans le futur toute communauté politique devra également répondre au double impératif de la détermination de soi et du lieu. (…) 
La crise des sociétés contemporaines dérive ainsi de l’érosion progressive du lien du soi avec un territoire, étayé par des symboles partagés et situé dans un contexte monoculturel et monolingue ; le collectif national se construisait dans un hermétisme territorial à caractère immunitaire, mis désormais définitivement en cause par la globalisation. (…) Les postmodernes s’efforcent ainsi de construire de nouvelles situations d’immunité viables, qu’ils trouvent (selon Sloterdijk) dans les formes de vie individualistes qui caractérisent aujourd’hui les sociétés avancées, où les individus tendent à se séparer des groupes et de l’être-ensemble de la communauté politique, perçus autrefois comme protecteurs. Cette tendance s’exprime avec le plus de clarté aux États-Unis, où les gens pratiquent « le souci de soi biologique, psychotechnique et religioïde, parallèlement à une abstinence croissante d’engagement politique ». Les individus individualisés ont renoncé à exprimer le monde, à devenir des « grands hommes » ou des hommes microcosmiques, et Sloterdijk semble présenter cette tendance comme irréversible et destinée à se généraliser, en tant que stade final de la culture. (…) 
Le monde occidental est pour Sloterdijk incarné aujourd’hui dans un grand intérieur du type « palais de cristal » (le Crystal-Palace de l’expo universelle de Londres en 1851), une serre de la détente dédiée au culte joyeux du consumérisme. Ce bâtiment prophétique révèle ainsi que le capitalisme a toujours été et voulu être autre chose qu’un simple rapport de production ; il s’agit plutôt d’un projet global qui consiste à transposer la totalité de la vie, du travail, des désirs et de l’expression des êtres dans l’immanence du pouvoir d’achat. (…)  Sloterdijk constate un renversement profond de la pensée traditionnelle, axée sur les notions de pénurie, d’urgence et de manque ; les populations de la sphère du confort s’orientent actuellement plutôt vers une existence faite d’options, qu’il désigne comme une existence de « gâterie » et de « surabondance ». Pour vaincre l’ennui fondamental qui caractérise la vie dans la grande serre, apparaît une agitation constante de décharge généralisée, de poursuite de caprices individuels et de goûts personnels. La surabondance à l’intérieur du palais de cristal multiplie les facilités d’accès à tout ce qui existe sous forme de marchandises, facilité due aussi aux systèmes de transports modernes fondés sur le pétrole ; dans ce contexte, une forme plus légère de la subjectivité (le « Soi usager ») commence à remplacer la forme plus lourde des Temps modernes (le « Soi cultivé »). (…) 
Dans le système actuel du monde, tout est placé sous la contrainte du mouvement, du nomadisme et de la mobilisation permanente. La déterritorialisation, qui a été autrefois la conquête essentielle des Temps modernes, fait partie désormais du quotidien et de sa banalité. La télévision nous donne à voir le spectacle d’un monde débarrassé de ses frontières, les réseaux de communication et la rapidité des transports ont comprimé l’espace, nous donnant l’illusion de sa disparition. Mais on assiste déjà à un mouvement de correction de ces tendances, mouvement qui vise à réévaluer l’espace ignoré ; la culture de la présence commence à faire valoir de nouveau ses droits en vue d’une insurrection contre le monde rétréci et d’une redécouverte de la lenteur. (…) Le territoire n’est jamais une donnée « naturelle » et immuable, ni un système clos sans relations avec le dehors, mais il est le fruit d’une invention collective, aux frontières entre le réel et l’imaginaire. Ainsi, il peut aussi devenir aujourd’hui une forme paradoxale de résistance face à l’entreprise de lissage total des espaces et des identités, à la dynamique implacable d’une déterritorialisation unilatérale et sans limites imposée à la planète par le capitalisme avancé. Résumé de la note de lecture de Manola Antonioli, Collège International de Philosophie


Après le TH :
En 1992, installation Eve et Prométhée, qui réorganisait tous les éléments qui composent le TH. Plus tard, travail avec Rachid Ouramdane ; puis retour au travail visuel, et aussi à la technologie, pour chercher à faire exister différentes dimensions sur scène. Faire exister de la sphéricité (à partir du 3).

Rachid Ouramdane : Engagé dans des réflexions autour de l'identité (la sienne propre et celle de ses parents notamment), Rachid Ouramdane utilise très tôt les outils multimedia comme base de recherche chorégraphique, collaborant ainsi, dès le début de son parcours, avec des vidéastes, des créateurs lumière, des musiciens ou des plasticiens. Il a multiplié les projets aux frontières de la danse et du documentaire, voyageant au Brésil, au Vietnam ou en Chine avec des documentaristes, collaborant avec des auteurs  et liant parfois le travail de création à l'identité d'un territoire, comme pour sa pièce Surface de réparation, créée en 2007 avec douze sportifs de Gennevilliers suite à une résidence de plusieurs mois sur le terrain.

Ne pas enfermer les gens, ne pas les emprisonner dans ce qu’on a écrit.
ne plus faire de TH ? Rêve d’un atelier démontable et utérin, que lui construirait l’architecte japonais Ban, et où il chercherait, avec d’autres, à ne pas faire de TH.




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12 septembre 2012


PRESENTATION DE 'e' PAR PAUL LEFEBVRE


« Me rappelle pas du tout. Le Corps de mon Mond-e. Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi ce e me poursuit-il, depuis mon pied jusqu’à mon oeil intérieur ? »
L’épopée tragi-comique des Azzédiens, peuple de guerriers va-nu-pieds – comme qui dirait des Indiens ou des Amazoniens – commence par un exode.
Réfugiés dans la Terre d’À Côté gouvernée par le Maire Blackburn, les exilés obtiennent un territoire : Sein-Azzède de Tableau, à condition de n’y bâtir que des abris provisoires. À sa sortie de prison, J’il l’archi-flèche, chef spirituel des Azzédiens, revient à son peuple, rêvant de bâtir le « Corps de son Mond ». Mais dans sa « terre à lui », manque – comme dans La Disparition de Perec – la lettre e. Dès lors, l’errance de sa communauté dans une terre empruntée raconte la marche intérieure du héros, sa quête d’un avenir en ce temps de guerre.
Guerre «mémoricide » où Romane, la femme de J’il, symbole de tolérance, ainsi que leurs jumeaux, Jadis et Demain, risquent d’être effacés.
Imaginez une guerre civile, mais imaginez-la ici. Imaginez maintenant que c’est vous, l’autre. L’autre : celui que l’on parque dans un camp, le malpropre, le sauvage, le pré-moderne, le malhonnête, le toujourssaoûl, le pas-fiable, le proche-de-la-nature, l’en-lien-avec-le-sacré, lui là, dont le temps est différent. Après les massacres, les bombardements et l’errance, les Métis, guidés par le Roué Dadagobert, sont autorisés à s’installer sur des terres sous la juridiction du maire Blackburn. Mais ce n’est là que le squelettique référent d’un récit théâtral qui puise sa forme et sa force à même l’épopée antique et la chanson de geste pour raconter la vie de J’il, fils du roué, héros, dont les épreuves et exploits sont mis en langage avec l’émerveillement terrible des grands récits d’avant l’Histoire.

Paul Lefebvre, Résumé, theatrecontemporain.net



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